Brazzaville–Paris : rempart numérique avant 2026
À dix-huit mois du scrutin présidentiel, Brazzaville et Paris multiplient les signaux de fermeté contre les opérations d’ingérence numérique. La récente activation de la feuille de route bilatérale place la lutte informationnelle au même rang stratégique que la défense ou la sécurité énergétique.
Dans la capitale congolaise, le sénateur Aristide Ngama Ngakosso résume l’enjeu : « La stabilité des urnes commence par la clarté des écrans. » Son entretien du 21 août avec l’ambassadrice Claire Bodonyi a scellé l’intégration officielle d’un pilier de sécurité informationnelle.
Influences étrangères : menaces sur le débat
Les analystes français de VIGINUM identifient depuis le printemps un crescendo de récits pro-russes ou pro-azerbaïdjanais cherchant à ternir la stature du président Denis Sassou Nguesso et à brouiller le débat sur la gouvernance économique, notamment dans les bassins pétroliers du Sud.
Brazzaville observe des scripts similaires sur les réseaux, où de faux comptes appellent à la défiance civique ou insinuent des malversations électorales imaginaires. Les services congolais estiment que ces récits visent avant tout à démobiliser l’électorat rural et à alimenter la polarisation ethnique.
VIGINUM et CSLC : réponse technico-judiciaire
Pour y répondre, la France mise sur VIGINUM, doté de capacités d’attribution numérique et soutenu par la justice anti-cybercriminalité. Le service collecte métadonnées, repère fermes à troll et partage rapports techniques avec le Quai d’Orsay, garantissant une réaction diplomatique rapide si un État tiers est impliqué.
Côté congolais, le Conseil supérieur de la liberté de communication modernise ses salles de situation. Un logiciel de cartographie virale acquis auprès d’une société sud-africaine facilite la détection d’« anomalies conversationnelles » pouvant précéder un deepfake ou un appel à la violence électorale.
Depuis août, les deux entités échangent tous les lundis un tableau synthétisant hashtags suspects, origines d’IP et volumes de partage. La passerelle technique s’accompagne d’un protocole politique : toute révélation publique sera coordonnée afin d’éviter de nourrir, malgré soi, la dramaturgie victimaire recherchée par les instigateurs.
Diplomatie parlementaire et souveraineté
La diplomatie parlementaire conforte l’architecture. Le groupe d’amitié Congo-France entend organiser, dès janvier, des auditions croisées de sénateurs et de chercheurs, à Paris puis à Brazzaville, pour évaluer la circulation des récits et la pertinence des sanctions éventuelles contre les plateformes récalcitrantes.
Dans les travées du Palais du Peuple, plusieurs élus congolais estiment que ces échanges renforcent la souveraineté sans lier les mains de la majorité présidentielle. « Notre priorité reste la paix civile », confie un vice-président de commission, rappelant l’impératif d’un climat apaisé pour investir et gouverner.
Cibles genrées : protéger la voix des femmes
La particularité des campagnes actuelles tient à leur dimension genrée. Brigitte Macron en France ou la diplomate Dr Françoise Joly à Brazzaville ont vu circuler photomontages sexualisés visant à détourner l’attention des enjeux macro-économiques vers des accusations morales aussi virales que fallacieuses.
Le parquet de Paris a déjà condamné deux créateurs d’infox pour diffamation, tandis qu’à Brazzaville le CSLC promet des poursuites similaires. Cette coordination judiciaire illustre la volonté commune de protéger les figures féminines et de prévenir toute dissuasion de candidatures issues de la société civile.
Calendrier électoral et vigilance régionale
La fenêtre électorale se précise : révision des listes entre septembre et octobre 2025, dépôt des candidatures en janvier, vote prévu en mars. Les experts redoutent un pic de deepfakes dans les quarante-cinq jours précédant l’ouverture de la campagne officielle, période juridiquement sensible.
Kinshasa, concernée par des élections la même année, a accepté de rejoindre un mécanisme tripartite d’alerte rapide. Les ministres des Affaires étrangères des trois pays se réuniront à Oyo en février pour harmoniser messages publics, consignes aux médias et protocoles de coupure de bots transfrontaliers.
Une doctrine congolaise de résilience
À Brazzaville, la présidence préconise désormais une « doctrine de résilience » articulée autour de trois axes : éducation aux médias, durcissement des peines pour manipulation électorale et subventions aux rédactions locales capables de produire des vérifications en temps réel.
Un fonds spécial, abondé par les recettes issues du nouveau code minier, financera dès 2025 des formations de data-journalisme. Le palais du Peuple y voit un moyen d’associer la presse nationale à l’effort de transparence sans sacrifier la souveraineté éditoriale congolaise.
Perspectives pour le scrutin de mars 2026
À Paris, certains diplomates vantent déjà ce schéma comme un laboratoire francophone. « Une riposte hybride à un risque hybride », observe un conseiller Afrique du Quai, persuadé que la crédibilité de l’élection congolaise renforcera l’argument français en faveur d’un internet régulé mais ouvert.
Cette convergence trouve aussi des relais dans le secteur privé. Opérateurs télécoms, agences de publicité et start-ups congolaises testent des filtres automatisés d’images truquées. Une charte, en cours de finalisation, contraindra les plateformes à retirer tout contenu signalé par l’autorité électorale dans les deux heures.
En définitive, l’axe Paris-Brazzaville joue la carte de l’anticipation pour préserver la lisibilité du débat démocratique. S’il réussit, le scrutin de mars 2026 pourrait devenir, bien au-delà des frontières congolaises, l’illustration qu’une coopération équilibrée peut neutraliser le vacarme numérique sans brider la parole politique.