Des mots qui interrogent la mémoire collective
Il arrive que la joute oratoire, pierre angulaire des démocraties contemporaines, trébuche sur l’excès sémantique. En assimilant le régime congolais au nazisme et au fascisme sur une antenne étrangère, Jean Jacques Serge Yhombi Opango, président du Rassemblement pour la démocratie et le développement, a rappelé malgré lui combien les mots peuvent raviver des blessures que l’humanité croyait refermées. L’onde de choc, nourrie par les réseaux sociaux, a résonné bien au-delà du microcosme politique de Brazzaville, interrogeant le sens même du débat citoyen à l’orée de la présidentielle de mars 2026.
Le rappel historique est implacable : le nazisme ne fut pas seulement une idéologie, mais la négation absolue de la dignité humaine. Lui accoler un système républicain africain en paix relative depuis plus de deux décennies témoigne, au mieux, d’une métaphore malheureuse, au pire, d’une comparaison qui banalise l’irreprésentable. Pour beaucoup d’observateurs, cette dérive lexicale illustre la tentation de l’emphase dans une opposition encore en quête de ligne idéologique stable alors que la campagne s’esquisse déjà.
Le Club 2002-PUR en quête de consolidation
Face à la saillie verbale du leader du RDD, le Club 2002-Parti pour l’unité et la République, membre de la majorité présidentielle, a réagi avec la solennité qui sied aux périodes pré-électorales. Pour son secrétaire général Juste Désiré Mondélé, « la démocratie ne cautionne pas tous les langages », rappelant qu’invoquer le fascisme ou l’apartheid dans le contexte congolais revient à introduire un anachronisme périlleux dans le débat public.
Créé en 2002 par le sénateur Guy Wilfrid César Nguesso avec pour boussole l’unité nationale, le Club 2002-PUR cherche, en recadrant les propos du RDD, à consolider son image de force tranquille de la majorité. En appelant à la candidature du président Denis Sassou Nguesso pour 2026, le mouvement affirme une continuité politique qu’il estime garante de stabilité macro-économique dans une région encore sujette aux soubresauts sécuritaires.
Liberté d’expression et responsabilité citoyenne
Le droit de critiquer le pouvoir demeure la pierre angulaire de toute société pluraliste. Néanmoins, comme le soulignait récemment la philosophe Esther Kassa dans une tribune au quotidien Les Dépêches de Brazzaville, « la liberté d’expression cesse d’être un principe démocratique lorsqu’elle sème la graine de la haine identitaire ». En d’autres termes, l’opposition dispose d’un champ d’action légitime, mais celui-ci ne peut ignorer les balises morales que l’histoire impose.
Sur le plan juridique, la Constitution de 2015, révisée en 2021, garantit le libre exercice de la parole, tout en sanctionnant les incitations à la violence ou à la discrimination. L’épisode actuel remet ainsi au centre du jeu la notion de responsabilité, chaque acteur politique étant appelé à calibrer son propos afin de ne pas fracturer un corps social déjà mis à rude épreuve par les chocs exogènes — pandémie, volatilité des cours pétroliers et pressions climatiques.
Vers 2026 : la majorité présidentielle affine sa stratégie
À moins de trois ans de l’échéance, le calendrier électoral s’invite dans toutes les réunions de partis. Le Club 2002-PUR, au même titre que le Parti congolais du travail, se positionne en éclaireur du rassemblement majoritaire. Selon une source interne, l’objectif est de « préparer un programme renouvelé autour de la diversification économique et de la diplomatie régionale », tout en préservant les acquis de sécurité que la population cite régulièrement dans les enquêtes d’opinion.
Le président Denis Sassou Nguesso, qui n’a pas encore officiellement déclaré ses intentions, voit son nom circuler avec insistance dans les motions d’appel à candidature. Les observateurs y lisent la volonté d’assurer une transition politique sans heurts, à l’image de la politique de grands travaux et de connectivité sous-régionale menée depuis dix ans. Dans ce contexte, les débordements de langage de certains opposants apparaissent comme une aubaine pour la majorité, soucieuse d’afficher sérieux et mesure.
Opposition fragmentée, électeurs attentifs
L’incident linguistique autour de la référence au nazisme met en lumière la fragile cohésion des forces d’opposition, partagées entre dénonciation radicale et stratégie institutionnelle. Le RDD tente de rallier une base populaire sensible aux discours de rupture, tandis que d’autres formations, telles l’UPADS ou l’Union des démocrates humanistes, privilégient un plaidoyer réformiste susceptible de séduire les classes urbaines émergentes.
En définitive, c’est l’électeur congolais, souvent plus pragmatique que ne le supposent les tribunes enflammées, qui tranchera. Les enjeux socio-économiques — maîtrise de l’inflation, accès à l’eau potable, inclusion numérique — pourraient primer sur la rhétorique spectaculaire. Pour l’heure, le rappel à l’ordre du Club 2002-PUR apparaît comme un signal : le débat sera libre, certes, mais il devra rester arrimé aux réalités nationales, loin des analogies historiques qui, par leur extrême, risquent d’obscurcir les choix démocratiques à venir.