Le départ de Martin M’Beri, un rappel historique avant la présidentielle 2026
Lorsque le doyen Martin M’Beri s’est éteint le 5 juin 2025, nombre d’observateurs ont aussitôt relié la date au 5 juin 1997, premier signe des turbulences qui menèrent alors le Congo-Brazzaville au bord de la rupture. Le parallèle est séduisant parce qu’il éclaire le sentiment cyclique qui habite la classe politique : chaque échéance majeure oblige le pays à interroger sa mémoire et à tester la solidité de son pacte social. À douze mois d’un scrutin décisif, la disparition du ministre d’État agit comme un rappel, presque pédagogique, de la nécessité de conjurer le spectre de la discorde et d’installer, en amont, des mécanismes consensuels de régulation.
Un héritage façonné par le dialogue national et la paix
Figure de la majorité présidentielle, M’Beri avait fait du dialogue national un chantier permanent. Nommé secrétaire permanent des assises de 2023, il insistait sur l’idée que la consolidation de la paix devait précéder toute compétition électorale. « Sans un contrat de confiance, l’urne devient un thermomètre détraqué », rappelait-il en marge des consultations initiées par le ministère de l’Intérieur. Sa posture, loin d’être une simple profession de foi, répondait aux exhortations récurrentes de la Conférence épiscopale et des partenaires bilatéraux, qui voyaient dans le modèle congolais un laboratoire régional de réconciliation graduelle.
La stratégie du pouvoir : continuité institutionnelle et ouverture encadrée
Le Palais du peuple a accueilli la nouvelle du décès avec solennité, tout en précisant que le calendrier électoral ne subirait pas d’inflexion. Selon un conseiller de la présidence, « la meilleure manière d’honorer Martin M’Beri sera de traduire son credo en architecture juridique ». Déjà, la commission ad hoc sur la réforme de la loi électorale, installée en février, a intégré un volet consacré à la sécurisation des résultats : transmission électronique des procès-verbaux, dédiée en priorité aux zones frontalières. Brazzaville affiche ainsi une lecture pragmatique du contexte : maintenir la stabilité, capter l’investissement régional et préserver une image d’État prévisible, conditions propres à légitimer le scrutin de 2026 sur la scène internationale.
Candidatures multiples : entre respiration démocratique et illusions populistes
Au sein de l’opposition, l’appel à « quinze visages pour 2026 » alimente les réseaux sociaux, mais soulève l’objection d’un éclatement de l’offre politique. Pour le constitutionnaliste Serge Okoundji, une pluralité incontrôlée peut produire une « poussée de candidatures de témoignage » qui, loin d’enrichir le débat, délégitimeraient le vote en dispersant la participation. Le pouvoir, fidèle à sa ligne, n’interdit pas ces velléités, mais parie sur la maturité de l’électorat et sur la capacité de la société civile à filtrer les projets viables. Ce positionnement mesuré, souvent qualifié de « pro-régime modéré » par les chancelleries européennes, répond à une logique : laisser le jeu s’ouvrir sans compromettre l’efficacité gouvernementale.
La diplomatie congolaise cherche un alignement régional avant 2026
Au-delà des frontières, l’Union africaine, la CEEAC et le G20 Compact with Africa suivent de près la trajectoire congolaise. La stabilité sécuritaire sur l’axe Pointe-Noire-Brazzaville conditionne l’acheminement des produits pétroliers en Afrique centrale, et donc le regard bienveillant des investisseurs. Dans ce contexte, le souvenir de Martin M’Beri sert d’outil narratif pour rassurer les partenaires : le Congo se projette dans un mélange de continuité et de réformes graduelles, portées par un exécutif qui revendique la paix comme valeur cardinale.
La présidentielle de 2026, test de maturité pour l’appareil institutionnel
À mesure que s’égrènent les mois, le Comité citoyen d’observation électorale affûte ses rapports, tandis que les missions d’expertise de l’Organisation internationale de la Francophonie calibrent leurs recommandations techniques. La commission électorale, souvent décrite comme sous-dotée il y a encore cinq ans, bénéficie désormais d’un appui matériel renforcé. Loin d’une révolution, cette montée en puissance résulte d’initiatives gouvernementales qui, sans rompre avec la tradition présidentielle forte, introduisent des marges de contrôle multipartite. C’est vraisemblablement sur cette articulation – autorité de l’État et participation pluraliste – que se jouera la crédibilité du scrutin.
Vers un consensus post-M’Beri : dialogue national ou contrat citoyen ?
La question demeure : faut-il convoquer, comme il le suggérait, un dialogue national de réconciliation autour du président Denis Sassou ? Les canaux officiels laissent entendre qu’un format hybride, mêlant table ronde thématique et plateforme numérique, pourrait voir le jour après la fête nationale de 2025. Ce compromis, qui conjuguerait symbolique rassembleuse et efficacité budgétaire, semble taillé pour honorer l’esprit de M’Beri sans retarder l’agenda institutionnel. Pour le politologue ivoirien Koffi Kouamé, « le Congo expérimente ainsi une méthode douce de gouvernance consensuelle, susceptible de devenir un modèle exportable dans le bassin du Congo ».
En définitive, le souvenir du ministre d’État ne s’inscrit pas seulement dans la piété républicaine ; il s’invite au cœur d’une stratégie d’État visant à sanctuariser la paix, fluidifier la compétition électorale et projeter le pays vers une diplomatie d’influence. En filigrane, c’est bien la présidentielle de 2026 qui se profile : un révélateur de maturité démocratique où l’ombre tutélaire de Martin M’Beri, telle un repère moral, continuera de veiller sur la conduite des affaires publiques.