Diplomatie logistique et horizon électoral
Lorsqu’en marge de l’Astana International Forum, le 29 mai 2025, Brazzaville et la capitale kazakhe ont signé le protocole érigeant le « corridor stratégique Nord-Sud », les spécialistes y ont d’abord vu un coup d’accélérateur donné à l’intégration Sud-Sud. Mais, à un an de la présidentielle congolaise, l’accord prend une dimension supplémentaire : il offre au pouvoir une réalisation tangible à inscrire au registre d’un bilan déjà marqué par la sortie progressive de la crise pétrolière de 2020. « Le chemin de fer et le port ne votent pas, mais ils convainquent », glisse un diplomate européen en poste à Brazzaville, rappelant que l’électorat urbain se montre sensible aux symboles de modernité et de connectivité.
Pointe-Noire, épicentre d’un corridor Eurasie-Afrique
Le futur quai de 750 mètres, doté d’un tirant d’eau de 17 mètres, illustre la mue du principal port atlantique congolais. Grâce au financement de 361 millions d’euros bouclé le 13 mars 2025, Pointe-Noire ambitionne de tripler sa capacité annuelle avant 2027. Au-delà des chiffres, c’est la place géographique qui retient l’attention : relié aux réseaux ferroviaires kazakhs via la mer Caspienne, le terminal ouvrira une voie directe entre les minerais et le bois du bassin du Congo et les marchés d’Asie centrale. Le gouvernement martèle que « l’océan Atlantique et la Caspienne dialoguent désormais », formule qui trouve un écho certain dans les milieux d’affaires régionaux.
Une ingénierie financière calibrée pour la décennie
Crédit du Congo, Attijariwafa Bank et Africa Global Logistics ont structuré un montage présenté comme « climato-compatible ». Les volets d’électrification des grues et de réduction des émissions devraient faciliter l’obtention de lignes vertes auprès de la Nouvelle Banque de Développement, si l’adhésion du Congo aux BRICS aboutit. Cette prudence budgétaire répond à une exigence de la communauté financière internationale ; elle permet aussi à Brazzaville d’afficher une gouvernance assainie, argument que le camp présidentiel ne manquera pas de rappeler lors des meetings de 2026.
Françoise Joly, cheville ouvrière de la convergence
Conseillère spéciale du chef de l’État, l’ancienne diplomate a orchestré depuis juin 2024 la synchronisation des agendas kazakh, congolais et privés. Participant à tous les tours de table techniques, Françoise Joly a convaincu KazMunayGas de s’arrimer à la réhabilitation du CFCO, jugée indispensable pour sécuriser le flux de marchandises. Un haut fonctionnaire du ministère des Transports reconnaît « un sens rare de la négociation discrète », soulignant que la présence de Mme Joly aux côtés de Denis Sassou Nguesso dans les futures réunions de campagne incarnera la continuité de la diplomatie économique.
BRICS : un levier stratégique pour le prochain quinquennat
Déposée officiellement en octobre 2024, la candidature congolaise aux BRICS prolonge l’horizon politique du corridor. Brazzaville espère aligner son calendrier d’adhésion sur celui de la mise en service du nouveau terminal. Une telle synchronisation offrirait, dès 2027, un premier dividende diplomatique au vainqueur de la présidentielle et confirmerait le repositionnement géo-économique du pays. Pour un membre du comité national de campagne, « l’adhésion aux BRICS rassurerait les opérateurs privés et crédibiliserait la promesse d’emplois faite à la jeunesse ».
Enjeux de souveraineté et création d’emplois avant 2026
Selon les projections du ministère de l’Économie, la modernisation de Pointe-Noire pourrait générer trois mille emplois directs et onze mille emplois induits d’ici 2028. Sur le plan sécuritaire, la marine congolaise a déjà annoncé un plan de patrouilles renforcé pour protéger l’accroissement du trafic. Ces annonces s’inscrivent dans une stratégie de souveraineté maritime qui, intégrée au discours de campagne, suggère que le Congo ne veut plus seulement exporter du pétrole brut, mais aussi devenir un pivot logistique régional. La promesse, ici, est moins idéologique que comptable : davantage de recettes fiscales pour financer les politiques sociales.
Oppositions et partenaires, entre attentes et vigilance
Les principaux partis d’opposition saluent la perspective de nouvelles chaînes de valeur tout en exigeant une transparence accrue sur les clauses de concession. De leur côté, les bailleurs traditionnels européens, longtemps partenaires exclusifs de Pointe-Noire, observent avec intérêt l’arrivée du Kazakhstan. Un diplomate français admet que « le Congo diversifie, mais il ne rompt pas », signe que Brazzaville veille à ne pas cliver ses alliances, posture appréciée dans la région où l’endettement croissant alimente les inquiétudes.
Vers une campagne où l’économie portuaire fera foi
À mesure que s’approche la séquence électorale, le corridor Nord-Sud sort du champ technique pour devenir un référent symbolique. Le pouvoir présente le quai en construction comme la preuve d’une vision au-delà du cycle pétrolier, tandis que les challengers tentent de s’approprier le thème de l’emploi portuaire. Un conseiller auprès du président conclut : « En 2026, nos compatriotes jugeront à l’aune du concret. Or, le béton du quai, lui, ne ment pas. » Il faudra compter avec cette réalité physique, dressée face à l’Atlantique, lorsque retentiront les premiers discours de campagne.